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09/09/2014

Des fidèles gagnés par le doute

Comme Jean-Luc Gréau la dernière fois, Jean Peyrelevade ne remet pas en cause le capitalisme dans son ensemble. «// n’y a pas d'autre forme possible d'organisation de la vie économique que le capitalisme, c'est-à-dire une économie de marché associée à la propriété privédisait-il à L'Est Républicain il y a quelques années. Mais le capitalisme d'alors était selon lui détraqué, «parce que son seul critère est l'enrichissement des actionnaires».

A l'horizon : nul personnage ventripotent, portant bretelles et fumant cigare, dans une limousine avec chauffeur. L'actionnaire dont il faisait le portrait dans son livre Le Capitalisme total au Seuil, est «souvent d'âge mûr, de formation supérieure, avec un niveau de revenus relativement élevé». Ils étaient avant la crise 300 millions dans le monde, «concentrés à 90 % en Amérique du Nord, en Europe occidentale et au Japon» ; dont «20 % des Français».

«Ils confient la moitié de leurs avoirs financiers à quelques dizaines de milliers de gestionnaires pour compte de tiers (SICAV, fonds mutuels, fonds de pension, caisses de retraite et compagnies d'assurances) dont le seul but (...) est d'enrichir leurs mandants.» «Autant d'organismes qui se livrent une concurrence sur le taux de rendement qu'ils servent et qui exercent pour cela des pressions de plus en plus fortes sur les chefs d'entreprise.»

«Serviteurs zélés» voire «esclaves dorés des actionnaires», ceux-ci appliquent les règles de "corporate governance" (gouvernance d'entreprise). Les techniques sont les mêmes partout : «elles polluent de pure cupidité la légitime volonté d'entreprendre». Les victimes sont les mêmes partout : «les salariés tout d'abord qui ne sont plus partie prenante de l'entreprise, ils deviennent un paramètre économique parmi d'autres» ; pas le plus important.

Autres victimes : «les citoyens (...) car l'entreprise est indifférente aux effets induits de son activité» («pollution», «épuisement des ressources naturelles», «extension de l'effet de serre», «inégalités de développement»...). L'entreprise, disait Jean Peyrelevade, «n'est pas socialement responsable et le politique est absent». «Ainsi le capitalisme (...) est devenu "total" au sens où il règne sans partage ni contre-pouvoir sur le monde (...).»

Ce réquisitoire émanait d'un homme du sérail, ex-dirigeant de Suez, de l'UAP et du Crédit Lyonnais, ancien directeur adjoint du cabinet de Pierre Mauroy de 1981 à 1983 et longtemps professeur d'économie à l'École polytechnique. Le doute semblait donc avant 2007 gagner certains «serviteurs zélés» ou «esclaves doréqui redressant la tête, certes un peu tard, parlaient d'un «besoin de régulation pour (...) un développement plus équilibré».

13/05/2014

Marchands d'art utilitaire

La marchandisation de l'art parachève sans doute l'établissement d'un âge inédit peut-être dans l'histoire des hommes, un âge où tout peut se vendre pour de l'argent, même ce qui est du domaine du sacré, et l'homme en premier. Eric Dupin, dans son livre Une Société de chiens aux éditions du Seuil, rappelle que «L'art traditionnel remplissait des fonctions finalement assez voisines de celles de la religion ou de la philosophie».

Et l'on peut observer que la religion et la philosophie comme l'art traditionnel semblent avoir connu en même temps, en particulier en Europe, le même discrédit. Un peu comme s'ils ne satisfaisaient plus aux qualités requises, aux conditions exigées par la société de consommation, nouvelle fournisseuse de consolations moyennant finance. "L'art contemporain" naît ainsi sur un tas de "cadavres" et se nourrit de la décomposition.

D'ailleurs le sociologue et philosophe Jean Baudrillard cité par Eric Dupin, affirme que «La majeure partie de l'art contemporain s'emploie à s'approprier la banalité, le déchet, la médiocrité comme valeur et comme idéologie». Et ainsi, l'insignifiance ferait sens, serait signifiante. Et pourquoi pas ? "La dictature du relativisme" interdisant à quiconque d'émettre des jugements de valeur, tout se vaut dorénavant. "Des goûts et des couleurs..."

«Chaque groupe, chaque communauté élabore ses normes, ses critères ; d'où une diversité des normes et des préférences esthétiques et artistiques qui sont en concurrence et laissent peu de place à une forme traditionnelle de l'art qui ne soit pas figée par l'académisme» dit le philosophe Yves Michaud, qui stigmatise «une bureaucratie culturelle qui est une instance de légitimation des activités de l'institution et des artistes eux-mêmes».

Les justifications des "démarches artistiques" soutenant les œuvres, sont d'ailleurs formulées dans un langage obscur pour ne pas dire un verbiage spécieux. La phraséologie culturelle, le jargon employé, n'éclaire en rien le profane mais éteint son sens critique. Dans "le marché de l'art", "l'artiste" auquel tout est permis, étudie le marché, envisage toutes les possibilités et telle une marque, tente de se démarquer pour être remarqué, se faire remarquer.

Objectif : trouver preneur, avoir sa part de marché. "L'œuvre" est destinée à l'échange et à l'usage, à être emportée ou consommée sur place, afin de satisfaire le besoin de se changer les idées, de se distraire pour oublier sa condition d'homme et ses conditions de vie. Elle est un "produit culturel" utilitaire - utile aux gens, à la cohésion sociale - et jetable - un produit chassant l'autre. On achète ainsi sa tranquillité d'esprit, et la tranquillité publique.

20/09/2013

La concentration contre la répartition

L'économiste Thomas Piketty vient de sortir aux éditions du Seuil «l'essai de la rentrée». Intitulé Le Capital au XXIème siècle, «cette somme bouleverse la réflexion sur les inégalités» écrit le magazine Télérama. Il ne faudrait toutefois pas oublier un rapport qui déjà remettait les idées en place.

Ce rapport des Nations unies sur le patrimoine avait fait l'objet d'un résumé dans une dépêche de l'AFP reprise par le journal Le Monde sur deux petites colonnes dans la page des cours de bourse. Cette étude, publiée début décembre 2006, avait été «présentée comme la plus complète jamais réalisée» et s'y replonger laisse songeur. On y apprend que «Deux pour cent de l'humanité détiennent la moitié du patrimoine des ménages, tandis que la moitié de la population mondiale en détient 1 %».

Plus intéressante encore et immédiatement analysable par chacun d'entre nous était la répartition chiffrée. «Un patrimoine personnel de 2 200 dollars ou plus [± 1 700 euros à l'époque] permet de faire partie des 50 % de personnes les plus riches au monde, 61 000 dollars [± 47 000 euros] "suffisent" pour compter parmi les 10 % de personnes les mieux dotées et 500 000 dollars [± 385 000 euros] pour accéder au club très fermé du 1 % des individus les plus fortunés.»

En fait, "Les inégalités de patrimoine sont encore plus grandes que les inégalités de revenus" observait Anthony Shorrocks, directeur de l'Institut mondial de recherche sur l'économie du développement de l'université des Nations unies (UNU-WIDER), basé à Helsinki. Phénomène que l'on retrouve en France, une étude de 2005 du Cerc-Association montrant même que depuis 1982 (!), les ménages sans patrimoine avaient vu leurs revenus d'activité (salaires + prestations sociales, hors retraites) fortement chuter.

Cette enquête des Nations unies prend en compte l'ensemble «des actifs de chaque individu adulte (propriétés immobilières, foncières, portefeuille financier...) moins les dettes, en tenant compte des taux de change et du pouvoir d'achat. Les revenus (salaires, retraites, allocations) ne sont pas exprimés». Il apparaissait ainsi que la concentration de la richesse est très forte tant entre les pays qu'à l'intérieur d'un même pays.

La concentration de la richesse dans les pays les plus développés n'étonnera personne : «25 % des 10 % des personnes les plus riches vivent aux Etats-Unis, 20 % au Japon, 8 % en Allemagne, 7 % en Italie, 6 % en Grande-Bretagne, 4 % en France et en Espagne». Mais au sein des pays : "La part de richesse détenue par les 10 % les plus riches s'échelonne d'environ 40 % en Chine à 70 % aux Etats-Unis, voire plus dans d'autres pays".

Il est surprenant de constater qu'alors que le modèle est soi-disant la démocratie libérale, on assiste non seulement à une concentration de la richesse mais aussi à une concentration des entreprises (oligopoles) et à une concentration du pouvoir entre quelques mains (oligarchie). Le "capitalisme financier" semble en fait incompatible avec une juste répartition de la richesse. Que penserait alors l’oligarchie financière d’une meilleure redistribution ?!